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Le couple : son agressivité, son attachement.


Cet article vient explorer les rôles respectifs de l’agressivité et de l’attachement coexistant parfois dans le couple amoureux.

En particulier, l’étude du lien d’attachement vient fournir un certain éclairage à ce paradoxe ; lien étroit où se côtoient Eros et Thanatos, et où la violence est lovée au sein de l’amour et de l’attachement.

L’alchimie du lien amoureux gardera sans doute toujours sa part de mystère, mais pouvons-nous penser que notre choix est totalement libre ? En d’autres termes, comment l’attachement amoureux subit-il l’influence de notre passé ? Attend-on de son partenaire, sans même vraiment se poser la question en ces termes, qu’il vienne nous conforter dans les représentations que l’on s’est construites dès notre plus jeune âge? La rencontre amoureuse est-elle au contraire l’occasion de réorganiser les modèles qui nous habitent ? Ces deux propositions sont-elles, du reste, contradictoires ?

L’observation du couple amoureux

Dans certains couples amoureux, on peut observer une structure de comportements, qui prend diverses formes (physique, émotionnelle, psychologique, sexuelle et économique), dont le but est de provoquer l’intimidation, le pouvoir et le contrôle du conjoint violent envers le conjoint violenté.

Ainsi, l’objet d’amour semblerait maîtrisé et il planerait alors une croyance selon laquelle l’angoisse d’abandon n’est plus possible. Plusieurs recherches empiriques ont appuyé l’hypothèse selon laquelle l’attachement non sécurisant chez l’adulte est associé à la violence conjugale.

  • L’anxiété face à l’abandon

Elle marque un grand besoin de soutien de la part des figures d’attachement et une remise en question de la capacité ou du désir de ces dernières à répondre à de tels besoins. La personne mentionnant un haut niveau d’anxiété sur le plan affectif désire une intimité psychologique complète avec le partenaire, mais ne croit pas que cette possibilité puisse exister. Elle peut, alors, blâmer le partenaire, se mettre en colère et devenir violente. La violence est alors vue comme une réaction inadaptée pour rétablir une relation sécurisante dans le couple.

  • L’évitement de l’intimité

Il répond, pour sa part, à un inconfort à partager ce qui touche à l’intimité avec les figures d’attachement et à un besoin d’indépendance psychologique face à ces dernières. Dans le cas des individus mentionnant un haut niveau d’évitement, l’hostilité peut se manifester sous la forme d’une structure passive/agressive plutôt que d’être l’expression libre de leur colère et de leur violence. Cependant, selon Mayseless (1991), il existe certaines situations, où les individus qui évitent les relations intimes, deviennent ouvertement hostiles, agressifs et même violents physiquement. En effet, même une personne très prudente (évitant l’intimité) peut parfois faire confiance à une autre personne ou tomber en amour avec elle, ce qui la rend vulnérable. Si jamais le partenaire de la personne prudente menace de mettre fin à la relation, cette dernière peut, alors, donner libre cours à l’anxiété et à la colère réprimées, qui, par la suite, pourront culminer en violence au sein de la relation conjugale. Par ailleurs, la personne qui évite la proximité peut devenir violente, afin d’empêcher le partenaire amoureux d’être trop intime, puisque l’intimité sous entend la possibilité d’être abandonnée ou rejetée.

Selon Mayseless (1991), l’anxiété face à l’abandon et l’évitement de l’intimité sont susceptibles de mener à des manifestations de colère et de violence au sein de la relation de couple.

La théorie de l’attachement de Bowlby

La théorie de l’attachement a vu le jour grâce à John Bowlby (1969, 1973, 1980) suite aux observations des travaux d’éthologie Konrad Lorenz sur les comportements affectifs des animaux entre la mère et ses petits. Selon cette théorie, l’humain serait programmé pour rechercher et former des liens d’attachement avec les autres. Bowlby (1969, 1973) conceptualise l’attachement entre un parent et son enfant comme un système de contrôle, qui assure la sécurité de ce dernier. L’enfant communiquerait certaines émotions, comme la colère, afin d’informer son parent que son système d’attachement est activé et que ses besoins d’attachement ne sont pas comblés.

À ce moment-là, sa colère est qualifiée de fonctionnelle et peut avoir comme conséquence une plus grande intimité et une sécurité accrue au sein de la relation d’attachement parent/enfant.

Toutefois, si un enfant vit, de façon répétitive, des expériences négatives avec son parent (par exemple, être rejeté ou ignoré par rapport à ses besoins), cette colère peut devenir non fonctionnelle et, même, se transformer en des comportements agressifs.

Plusieurs recherches appuient cette hypothèse, selon laquelle il y aurait une association entre les comportements violents (par exemple, les comportements agressifs et d’opposition envers les pairs et les figures d’attachement, les troubles de comportements, les interactions avec les autres qui sont empreintes de contrôle) et un attachement non sécurisant chez l’enfant.

Au vue de cette théorie, on pourrait trouver une tentative d’explication sur le rôle de l’agressivité dans le couple. L’un des deux protagonistes se sent seul, est dans une peur de l’abandon et la seule solution qu’il trouve est l’agressivité. Fonctionnement qu’il connaît depuis sa toute petite enfance.

Or des croyances de scénario peuvent s’y ajouter : le monde est mauvais, les autres ne peuvent pas répondre à mes besoins…

À partir d’expériences d’attachement non sécurisantes répétées, l’enfant risque de construire des représentations cognitives négatives de soi, des autres et des relations d’attachement. Il serait, dès lors, plausible de considérer la violence conjugale comme étant, en partie, la manifestation d’une dynamique d’attachement non sécurisante.

Le vécu dans l’enfance et les répercutions dans la vie adulte

Le stockage des expériences d’attachement se fait, dans la mémoire, à deux niveaux bien différents. Celui de la «mémoire épisodique» et celui de la «mémoire sémantique ».

  • La mémoire épisodique, ou «autobiographique», donne en quelque sorte la «coloration affective », la tonalité subjective des évènements ; elle enregistre les informations issues de l’expérience et permet donc la constitution d’un premier modèle.

  • À ce premier modèle vient s’en superposer un second issu de la mémoire sémantique ou «procédurale » qui généralise les expériences vécues, mais qui intègre également d’autres informations émanant notamment de l’extérieur.

La cohérence, ou l’incohérence de ces deux niveaux entre eux, marque une des différences entre les personnes sécures et celles qui ne le sont pas.

Miljkovitch (2001) note que Bowlby pensait que « les personnes insécures étaient susceptibles de développer des modèles sémantiques et épisodiques cohérents dans leur structure interne, mais incohérents entre eux ».

Le vécu intérieur serait différent du vécu extérieur. Ce qui amène un conflit entre l’équilibre interne et externe.

Cependant, le type d’interactions que l’enfant va mettre en place et qui est étroitement lié à son «style» d’attachement va contribuer à renforcer ses modèles internes.

Ainsi, en maintenant une distance affective avec les personnes susceptibles de lui apporter du soutien, l’enfant «évitant» réussira bien souvent à arrêter les mouvements de réconfort d’autrui, et se verra ainsi conforté dans sa vision d’un monde dans lequel on ne peut compter que sur soi-même pour se préserver d’inévitables déceptions.

La relation amoureuse

La relation amoureuse implique d’emblée plusieurs composantes qui ne s’inscrivent pas nécessairement dans la même temporalité, même si elles sont toutes étroitement dépendantes les unes des autres :

• ce qui est de l’ordre du Désir

• ce qui est de l’ordre de la régulation de la distance (physique, émotionnelle)

• ce qui est de l’ordre de l’Intersubjectivité, pour reprendre le concept de Stern.

Une personne «sécure» n’éprouve aucune difficulté pour être intime, pour faire confiance à l’autre ; se sentant en sécurité dans la relation, elle n’est pas déstabilisée par la relative dépendance affective que suppose toute relation amoureuse.

Les personnes «évitantes» ont très peur, par contre, de la dépendance affective, et redoutent une trop grande proximité. C’est d’ailleurs ce qui les conduit à surinvestir des domaines extérieurs à la relation comme le travail, des activités sportives, etc. Par ailleurs, elles ont souvent besoin de «contrôler» la relation, même à distance, ce qui les rassure sur leur possibilité de maîtriser les évènements.

À l’inverse, la préoccupation essentielle des personnes « préoccupées » est de rester en contact permanent avec l’autre, ce qui les empêche souvent d’investir des domaines autres que la relation. L’hyperactivation de leur système d’attachement les conduit à se comporter de manière méfiante, parfois jalouse, contrôlante, «collante», révélant ainsi leur dépendance affective. Elles mettent alors en place des stratégies dont l’unique objectif est de maintenir le lien avec l’autre.

La violence conjugale semble liée à un grand besoin d’attention de la part du partenaire et à une crainte profonde que ce dernier ne soit pas apte à offrir ce soutien affectif, de même qu’à un grand inconfort face à la proximité psychologique avec le partenaire.

L’externalisation par le Jeu psychologique

Les deux conjoints évacuent toute douleur face à leur vécu respectif en s’agressant et en se dénigrant mutuellement. Ils externalisent leur « folie » en la mettant en acte chez l’autre. Dans un duel où ils sont à tour de rôle persécuteur ou victime (position dans le triangle dramatique), ils sortent du sentiment d’impuissance qu’ils ont éprouvé en étant enfants. Cette violence intime, exprimée quotidiennement dans l’interaction mortifère avec le conjoint, leur sert d’exutoire et leur amène un semblant de victoire sur les adversités du passé et les contingences du présent. Elle a donc une fonction cathartique de régulation psychique pour les deux. Mais ces querelles interminables présentent une composante addictive. Elles laissent leurs protagonistes avec des besoins inassouvis. Cela implique une répétition incessante des scènes. Les enchères doivent grimper pour que les bénéfices, liés à la satisfaction d’écraser l’autre, perdurent. Tous les masques des conventions sociales doivent tomber.

On observe alors une escalade dans la violence avec compétition dans le Parent.

Plan de traitement en thérapie de couple

Lors d’une thérapie de couple, les thèmes privilégiés à explorer sont les suivants :

• La menace du lien (situations ou vécu de rejet, séparation, conflits)

• Le sentiment d’autonomie/dépendance (liberté d’expression des affects négatifs et positifs; besoin, recherche ou évitement de la présence de l’autre)

• Les expériences de manque et le vécu s’y rattachant (perte, absence)

• Les capacités à faire appel à son conjoint en cas de besoin ou à lui apporter du réconfort.

Dans les tout premiers entretiens, il est utile de faire un travail «croisé» autour de 4 thèmes essentiels :

• Les reproches et la compréhension des difficultés conjugales

• L’histoire familiale du conjoint

• Les ressentis

• La compréhension des stratégies de l’autre.

Cas clinique :

Par exemple, je vais demander à Sophie de me décrire, à moi qui n’en connais rien, la famille d’origine de Jacques, en précisant quelle perception elle a de la place de chacun et des liens qui les unissent ; je lui demande également qu’est-ce qui a pu être difficile à vivre pour Jacques mais aussi quelles ressources il en a tirées. Je demande à Jacques de ne pas interrompre Sophie dans son exposé, même s’il n’est pas d’accord, en lui précisant qu’il aura ensuite tout le temps pour parler de son vécu à lui. Ensuite je demanderai à Jacques de faire la même chose en ce qui concerne Sophie. Pendant tout cet échange, j’interviens très peu, sauf pour recadrer un peu l’objectif si l’un ou l’autre part dans des digressions qui font perdre l’intensité du récit, ou au contraire pour faire préciser certains points si la description est trop générale ou trop imprécise. Je procède de la même manière tout au long du travail. Ainsi plutôt que de demander d’emblée à Sophie ce qu’elle reproche à Jacques, je demande d’abord à Jacques quels sont, à son avis, les reproches que Sophie nourrit à son encontre…

Conclusion

L’expérience clinique laisse à penser que les personnes insécures réagissent beaucoup plus à leur partenaire amoureux en fonction des schèmes de comportements qu’ils ont adoptés durant leur enfance, qu’en fonction des messages que peuvent leur envoyer leur conjoint. Ayant dû mettre en place, très tôt dans leur existence, un système défensif de protection, dû à une répétition d’évènements douloureux difficiles et de relations difficiles et complexes, cela les a amenés à restreindre leurs représentations.

Tout se passe en somme comme si ces personnes se retrouvaient prisonnières de leur passé et contraintes d’attribuer à leur conjoint des intentions qui viendraient conforter leurs croyances.

Il ne semblerait cependant pas que nous serions contraints – tel Sisyphe condamné à rouler éternellement son rocher – à reproduire les modèles de notre enfance. Des remaniements restent possibles et sans doute la vie amoureuse offre la possibilité de revisiter les expériences enfantines.

Pour conclure « Ensemble on se tue et séparés on meurt » ont dit si bien Caillot et Decherf (1982) à propos de la situation paradoxale de certains couples. Souvent, elle est une construction à deux, où les partenaires contribuent, activement et à tour de rôle, à alimenter la spirale des échanges haineux en alternant les attaques psychologiques et physiques jusqu’au paroxysme. Il est toutefois possible d’intervenir auprès des couples violents dans une thérapie conjointe.

Le psychothérapeute de couple doit être au clair avec son propre potentiel de violence pour pouvoir nommer la violence que le couple lui montre et la lire comme un symptôme commun. Le travail psychologique pourra se faire en étant attentif à toute ouverture sur le monde interne des conjoints et à leurs angoisses existentielles. Progressivement, la mentalisation qui remplace les passages à l’acte violents pourra se mettre en place.

Bibliographie

Adriana Bouchat-Trezzini, « La violence n'a pas de sexe. Pour une lecture psychodynamique des conflits de couple », Le Divan familial 2009/2 (N° 23), p. 87-97. DOI 10.3917/difa.023.0087

Martine Blanchard, « De l'attachement filial à l'attachement amoureux : un lien pour la vie ? », Thérapie Familiale 2007/4 (Vol. 28), p. 415-432. DOI 10.3917/tf.074.0415

Brigitte Evrard, « Une conception des origines de la symbiose de second ordre », Actualités en analyse transactionnelle 2012/2 (N° 142), p. 26-44. DOI 10.3917/aatc.142.0026

Mélanie Gosselin et al., « L'impact de l'attachement sur la violence conjugale : état de la question », Bulletin de psychologie 2005/5 (Numéro 479), p. 579-588. DOI 10.3917/bupsy.479.0579

Le couple

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